Critique littéraire : Faïza Soulé Youssouf : GHIZZA – Editions Cœlacanthe, 2015 – 12€
28 Dec 2015 - 01h35
J’ai
accueilli la nouvelle de la parution du premier roman de Faiza avec
autant d’espoir et de fierté. Car avant même de l’avoir lu,
j’ai tout de suite su que cette infatigable militante allait
mettre la vérité à nu, au grand dam des pseudos-défenseurs d’une
culture comorienne pudique. En vérité, ces valeurs traditionnelles
s’estompent et, si le roman est un miroir de la société, GHIZZA
se prévaut de son réalisme pour s’interroger sur le bien-fondé
de certaines coutumes séculaires qui s’érigent souvent en
obstacles à la dignité humaine et à la liberté individuelle.
GHIZZA
est avant tout un roman qui clame ses sources. Le personnage
principal, désemparé et en proie à la paranoïa, est en quête du
bonheur et d’une Vie « je m’en vais chercher cette vie
qui, jusqu’à aujourd’hui, m’a fait faux bonds ». Mais
le destin ne lui offrira pas de cadeau. Tous les étaux se referment
sur elle et, ses efforts pour s’en défaire se heurteront à des
postulats ancrés dans les coutumes traditionnelles. En
conséquence, elle s’accrochera à un idéal, néanmoins relégué
au conditionnel : «j’imagine ce que j’aurais aimé faire
et ce que j’aurais aimé avoir, la liste est longue, très longue.
Je ne sais pas par où commencer, comme d’habitude. Pêle-mêle,
j’aurais aimé… Qu’est-ce que j’aurais aimé faire, avoir,
obtenir. Ce que j’aurais aimé détester, ce que j’aurais aimé
lâcher » Le mal-être s’installe, un sentiment de rejet,
d’abandon et de persécution la consume telle une bougie qui se
liquéfie à la force du feu.
Dans
cette recherche du bonheur, cinq éléments sont déterminants :
d’abord l’Eau dans la symbolique de la fécondité et
l’érotisme: « je cours vers la mer », « je
regarde les gouttelettes d’eau se former, perler au niveau de ses
sourcils fournis et mourir sur ses joues », « la
mer est très calme », « j’aime que la pluie me
caresse le visage », « il ressort nu de la salle
de bain, des gouttelettes d’eau scintillent sur son corps dévêtu ».
Ce liquide purificateur qui éveille les sens et procure une
sensation de plénitude éphémère, exerce par nature une magie
apaisante sur le personnage. Le symbole Eau est assimilé à la
sensualité et à la vie.
Ensuite
l’obscurité, mais pas n’importe laquelle, celle de sa
chambre, murée dans la solitude. Le noir la fascine et lui procure
un semblant de bonheur : « dans ma chambre, j’aime
l’obscurité. J’aime tellement le noir… Dans le noir, je rêve,
j’imagine » La lumière fait découvrir des insanités,
des douleurs, or l’obscurité « a le mérite de cacher au
monde toute sa laideur, toute son effroyable lâcheté»
Puis
la nudité. Oui, le personnage adore la nudité : « je
suis nue. J’adore être nue… » Et tout naturellement,
elle adore se sentir nue dans le seul endroit où elle se sent à
l’aise : « enfin, j’arrive, je me précipite dans
ma chambre, m’enferme à double-tour et me déshabille. La première
chose que je fais quand j’arrive chez moi. Un soupir d’aise
s’échappe de mes lèvres. Enfin. J’aime sentir mon corps nu. Je
le sens vivant. Ce corps m’appartient. Mon corps m’appartient.
C’est ma seule possession » Dans « seule
possession », elle fait allusion à la coutume et au pouvoir
tutélaire conféré par la tradition qui s’immiscent dans tout. Un
détail précis pourrait échapper au lecteur : cette position,
nue, lovée sur elle-même dans son lit baignant dans l’obscurité
et la chaleur. Aux pages 36, 54, 58, 76 et 78 avant de s’endormir,
le personnage « se roule en boule et ferme les yeux »
Après
la paternité. Une des névralgies subies par le personnage
est causée par la perte de son père. Un père décrit avec soin de
sorte à le contraster avec tous les autres personnages. Une façon
de faire de ces derniers des personnages du repoussoir : « tu
me manques, père. Tu ne sais pas à quel point. J’ai envie que tu
me serres dans tes bras. Je veux que tu reviennes me sauver. Sans
toi, je ne suis rien. Et tu le sais. Tu sais, je ne sais pas si j’ai
été une bonne fille. Je ne sais pas si en t’aimant comme je l’ai
fait, je t’ai rendu service. Je t’aimais et je ne me posais pas
de questions. Et je t’aime encore. Plus fort. »
Enfin
le sexe. De la page 24 à 28, le lecteur se surprend devant
une scène érotique ; de quoi susciter une polémique dans une
société voilée par des principes religieux. Mais à mon avis, le
problème ne se pose pas sur le sexe en lui-même, car personne –
même les plus pudiques – n’a eu le courage d’arrêter la
lecture. Le vrai problème, c’est Jacob : ce nom à assonance
étrangère. Jacob, le prophète, père de toute la communauté
juive. Ascendant du peuple d’Israël. Comment une femme, promise à
Adam, père de toute l’Humanité, peut-elle s’offrir dans
une plage à Jacob ? L’histoire de ce prophète qui a eu 12
enfants, peut peut-être nous éclairer sur la confiance placée en
lui par le personnage. Je laisserai le soin au lecteur d’assouvir
sa curiosité. Si sexe il doit y avoir, ce doit être avec un homme
choisi par la famille, la société selon des critères prédéfinis.
L’idéal serait qu’il puisse « la couvrir d’or »
Tous
ces éléments réunis font de ce roman, un chef-d’œuvre de la
littérature comorienne de langue française, à plus d’un titre.
S’appuyant sur la matrice, la source de la vie qu’est l’eau,
l’auteure nous révèle sans-mot-dire sa société idéale en
faisant un retour vers un passé lointain. Un passé qui rassemble
les 3 premiers éléments : l’eau, la nudité et l’obscurité.
Voici donc une femme qui aime se replier sur elle-même dans la
solitude et enfermée dans un lieu clos, se
complaisant dans l’obscurité, contemplant son corps nu
et, s’enroulant en boule avant de s’endormir. Vous l’avez
deviné. C’est un monde antérieur à la vie, à la lumière et à
la vie en société. Comme SAST, l’auteure de GHIZZA décrit le
stade fœtal, cette situation de plénitude complète où la solitude
nous éloigne d’une société qui nous méprise, nous juge, nous
décide, et nous impose un mode de vie. Seul, d’après l’auteure,
l’homme n’a plus besoin de s’embarrasser des autres, cet
enfer ! La société, y compris la famille, n’est qu’un amas
de gens hypocrites, plats, prêts à nous juger et à nous dicter.
Comme
par hasard, l’auteure choisit de donner comme sous-titre à son
roman « A tombeau ouvert ». A en croire que la société
comorienne a de quoi se reprocher pour que les SAST dans les
« Berceuses assassines », Toihir dans « la
nationalité » et aujourd’hui Faiza avec GHIZZA déversent
leur hargne sur elle. La naissance est considérée comme un
traumatisme dans un environnement incapable de nous comprendre, de
nous aimer et de faire attention à nos désirs : « ce
mari, tu le prendras, que tu le veuilles ou non. Nous ne sommes pas
venus là pour te demander ton avis, nous sommes venus t’informer
et prendre les dispositions quant à la date de mariage. Et avant que
tu ne viennes, nous avons réfléchi et avons décidé que ce serait
dans une semaine. Le vendredi donc. » La chose est
décidée, sans que l’intéressée soit consultée. Or vivre, c’est
être libre. Libre de choisir, de décider et de réfléchir. La vie
ne vaut pas la peine d’être vécue si elle nous impose des choix.
Face à un tel désarroi, le personnage de Faiza confesse : « la
vie m’intéresse assez peu, je dois l’avouer »
Le
personnage avait donc besoin de s’accrocher à une figure. Il l’a
trouvée, c’est son père. Mais un complexe d’Œdipe ne tardera
pas à s’installer et à enclencher une animosité mère-fille
jusqu’à la mort du père. Un second traumatisme qui vient achever
le personnage jusqu’à lui enlever ses facultés psychiques. En
vérité, elle n’a pas perdu la mémoire, elle a envie de faire
table rase dans son esprit et oublier le passé.
Il
serait donc dommage de passer à côté du vrai message de cette
scène érotique. Par le sexe, Faiza aborde un thème qui lui tient à
cœur ; elle la combative, la militante, l’avocate des faibles
et des opprimés. Par le sexe, le personnage s’affirme enfin :
« ce corps m’appartient. Mon corps m’appartient. C’est
ma seule possession », « après des poussées
quelque peu laborieuses, il entre de toute sa longueur. Mon corps
m’appartient, je me dis. Peut-être pas ma vie, mais mon corps si.
Ultime revanche de la Sans-nom… C’est très beau. Mon corps est
pris de contractions. Mon corps m’appartient. Dans ma tête, cette
phrase revient tout le temps » Un vrai retour du bâton. Le
sexe « faible » s’affirme. GHIZZA n’est donc pas un
art pour l’art. C’est un véritable livre rouge, une révolution,
un cri d’alarme, un SOS.
L’art
de Faiza est dans le style et la rhétorique. Le choix de la première
personne du singulier « Je » n’est pas hasardeux.
L’usage du monologue narrativisé, combiné à la focalisation
interne ne laisse pas le lecteur indifférent. Ce style a le mérite
de rendre l’histoire vivante, de permettre au lecteur de
s’incorporer dans le personnage pour mieux le comprendre, partager
ses émotions, ses sentiments et ses déboires. Le lecteur voit à
travers les yeux du personnage, pleure avec lui, c’est le cas de le
rire, partage le même érotisme avec lui. Qu’on se le dise.
Cette
volonté de rapprochement avec son lecteur est voulue. Faiza nous
invite à prendre conscience d’une situation qui nous concerne
tous, hommes et femmes, membres de la famille et la société. Et là,
elle fait entrer en scène un personnage « saugrenu », le
Fou. Le Fou est fou, sale, répugnant, mais l’auteure ne partage
pas la même conception des choses. Sans oser le dire, elle insinue
que le plus fou n’est pas toujours celui qu’on croit. Les vrais
fous sont parmi ceux qu’on croit intelligents, doués, hauts placés
et en apparence bien porteurs. Mais au pays du personnage,
l’apparence est toujours trompeuse : « On y est. Tout
ce qui les intéresse, c’est le comment, le paraitre […]
L’individu n’existe pas. Le but ultime, c’est de tous nous
ressembler…. Nous sommes d’horribles dindes qui ne pensent qu’à
danser et à paraître» Être ou paraître, telle est la
question !
L’autre
particularité du style de Faiza repose sur la révolution culturelle
qu’elle engendre. L’auteure rompt avec les autres romanciers
comoriens qui peignent un environnement traditionnel local, avec un
langage francophone. Faiza, elle, déroge à cette démarche. La
touche locale est en toile de fond mais son originalité puise dans
une mosaïque culturelle métissée. La révolte se poursuit et donne
l’impression de n’en plus finir. Lire GHIZZA, c’est oser
affronter les vrais problèmes sociaux de notre pays, comprendre le
statut de la femme. Autant vous concéder que la lecture risque
d’être gênante, non pas à cause de l’érotisme mais pour des
raisons que vous découvrirez par vous-mêmes. Mais tout n’est pas
fatalité, car le vrai nom du personnage est Twamaya. Croisons les
doigts et gardons espoir car Faiza n’est pas qu’une simple
auteure, c’est un démiurge.
Par: PRINCE
IMAM Abdillah